ERIC EMERY (CH)
Arbeitsdokument zu "Julie-Wolfthorn Straße 1.1"
Ausstellungsansicht,
Ville propre, In extenso, Clermont-Ferrand
Line Graffiti (Kreis), 2010 - Wandfarbe -ø 270cm
Erased Graffiti (Julie-Wolfthorn Straße 1.3), 2010 - Sprühfarbe - 240x210cm
Erased Graffiti (Julie-Wolfthorn Straße 1.1), 2010 - Sprühfarbe - 350x120cm
Cache colonne, 2010 - Holzpaneel, Wandfarbe - 100X100X200cm
Alle Bilder (c) Marc Geneix, 2011
Arbeitsdokument zu "Selchower Straße 23"
Ausstellungsansicht,
Loading..., PMGalerie, Berlin
Erased graffiti (Selchower Straße 23, Berlin), 2010
Alle Bilder (c) Ivo Gretener, 2010
Arbeitsdokument zu "16, Rue de Fourcy"
Erased Graffiti, 2009. Ausstellungsansicht im La Générale en Manufacture, Paris
Im Vordergrund : "Corset", 2009. Holz, Sprühfarbe. 220x50x30 cm
Erased Graffiti (6, Rue Charlot, Paris), 2009
Graffiti
Sprühfarbe
Variable Maße
Sprayer: Mimmo
Erased Graffiti (4006844949_dc51626521_o.jpg), 2009
Graffiti
Sprühfarbe
Variable Maße
Sprayer: Mimmo
Erased Graffiti (16, Rue de Fourcy, Paris), 2009
Graffiti
Sprühfarbe
Variable Maße
Sprayer: Mimmo
Arbeitsdokument zu "il Tamburello"
© Sully Balmassière, Centre d'art Neuchâtel (CAN), 2008
il Tamburello (I), 2008
Sprühfarbe
Variable Maße
Sprayer : Jean-Thomas Vanotti
il Tamburello (II), 2008
Sprühfarbe
Variable Maße
Sprayer : Philipp Ganzer
Avec Il Tamburello (2008) Emery inaugure une manière nouvelle, tout en reprenant des procédés et des thèmes éprouvés précédemment. Comme ? Comme l'infernale mécanique cinétique et ses accidents, les objets de masse et leur détournement singulier, le feuilletage multiple et la distorsion pop, le va-et-vient concrétion/abstraction, l'obsessionnelle mise en abyme, le battement entre maîtrise optique et catastrophe tactile, un minimalisme des moyens pour un maximum allusif, une certaine trivialité parodique, le witz cruel de l'humour noir, un libertinage à la petite semaine.
(...)
Stéphane Mantavon, oct. 2008
© Sully Balmassière, 2009
SCHAKE IT! (Detail), 2009
Bauzaun Elemente, Autolack, Blattgold
Variable Maße
Facel Vega, 2008
Acrylgips, Autolack
230 x 60 Ø cm
RATS I, 2008
Keramik
39 x 16 x 11 cm
tmp 5/2 (adidas), 2008
Graffiti
Sprühfarbe
Variable Maße
Sprayer: Philipp Ganzer
Jeff & Jane (The Destroyed Room), 2009
Jeff & Jane
Nous sommes habitués au regard de la star du porno qui, pendant qu'elle fait ce qu'elle doit faire, regarde fixement la caméra, montrant ainsi qu'elle s'intéresse plus aux spectateurs qu'à son partner. Giorgio Agamben, Le cinéma de Guy Debord, 1995.
Quand le contact s'établit avec la face qui, manifestement, avait déjà été là, qui avait été photographiée, glacée et déjà devait être fripée, dont cependant le regard nous semble bien maintenant destiné, vient la confirmation que la main qui ne tient pas l'interface fait "ce qu'elle doit faire" depuis toujours. Et alors l'oeil, en droit, peut se détourner de sa vis-à-vis, et se concentrer à détourer d'autres orifices. Epaulé qu'il est en cela par ses émissaires, sa droite, le fouteur, la caméra, le commerce, ces indicateurs sachant, tout multimedia qu'ils sont, se faire très discrets au moment voulu, l'oeil vérifie à tâtons si ces bords sont bien des bords définitifs, ou s'il n'y aurait pas des bords de bords, un peu plus profonds, dont l'ergonomie resterait, cas échéant, à démontrer. Enfin, qu'une secousse nous saisisse qui, au risque de tacher l'interface, du moins aveugle la star punie de son insistance à nous regarder faire, nous renfilons vite la carte de crédit dans notre crapaud, vexés de résultats si maigres. Mais heureusement partiels, à renouveler dans le détail, dont l'extension est d'ailleurs garantie par l'interface et la maîtrise que nous en avons. Il y aura en effet toujours une autre image pour nous convaincre que nous possédons instantanément à la fois les étoiles et le ciel.
Ainsi l'interface, en un certain point, aurait la tâche de disparaître et de se résorber dans la jouissance immédiate, avant, bien sûr, un nouveau relais : effet de présence, d'autant plus énergique qu'il est mieux tendu, retenu, réservé, préparé et circonscrit par la privation que cultivent les disciplines érotiques. Emery, avec ses photomontages, détoure lui-aussi, non plus pour faire apparaître les trous de la star où l'on se comble (quand déjà ses copines agitent une nouvelle image): il détoure la star elle-même qui, sauf quelques accessoires qui sont ses traînées, disparaît dans son fond, ne faisant plus que s'absenter, se détacher dans ce fond qui est notre intérieur, mais oui, dans ces plis quotidiens qui, à certaines heures, offrent il est vrai un confort rassérénant, d'autant que le computer, du sofa, est à portée facile de savate.
Le regard de la star, cette adresse qui doit bien nous rencontrer, puisque nous nous sommes dûment abonnés, c'est le départ de tous les interfaces, de notre fuite dans la répétition. Or en vidant l'image du sujet photographique, en lui substituant une superposition de couches, qui nous regardent encore, mais d'un autre lieu et à un autre temps, la série de disparitions qu'exhibe Emery montre ironiquement que le fond est sans fond, sans autre arrêt qu'un renvoi, sans rien qui viendrait enfin, maintenant, fermer l'interface, avant-dernière image avant la fin, avant que nous nous subtilisions. Et que le sujet de la photographie doit s'appuyer sur cette absence de fond dont est capable l'interface, pour se saisir soi-même.
sm 2009
Jeff & Jane (Insomnia, Understanding Joshua), 2009
Farbfotografie
9 x 13 cm
Stéphane Montavon in Sang Bleu 3&4, Lausanne, décembre 2008
TOUCHONS DU BOIS
Quand, du Pays de Vaud, Emery débarque à Berlin, le désir le prend aussitôt de s'en aller herboriser dans les forêts de Vorpoméranie. Ses rares connaissances l'encouragent. Ça le dégourdira. Un bol d'air ! Une affaire. Au détour d'un bouquet de bouleaux... Pas chassés... Hop ! Jardin de bières. Ma foi...
En lieu et place, l'air drôle, adressant partout des clins d'oeil, se répondant à soi-même par une tape sur l'épaule, Emery nous ramène cette sorte de nature morte qu'est Waldwurst (2005).
Que s'est-il passé ?
Lacan jeune, fatigué des livres, est en Bretagne. Il veut se plonger, dit-il, dans une « pratique directe ». Un pêcheur, Petit-Jean, l'emmène alors dans sa coquille de noix. Soudain, ce dernier avise un point brillant. C'est une boîte de sardines qui flotte au loin. Il fait à Lacan : « Tu vois, cette boîte ? Tu la vois ? Eh bien, elle, elle ne te voit pas ! » Lacan avoue qu'il ne trouvait pas ça drôle. Petit-Jean accompagne son geste de monstration d'une parole doublement pléonastique. Dans l'ordre du signifié d'abord : un inanimé ne voit pas. Ensuite, dans celui du signifiant : « vwah » est répété trois fois. Le surplus de sens finit par ne plus faire sens. On comprend que ce n'est pas drôle pour celui qui recherchait l'expérience immédiate que de se voir confronté à cette trop suspecte démonstration de l'évidence. Voilà Lacan rappelé à sa vocation d'interprète et obligé de se demander, à l'instar de l'idiot qui contemple le doigt lui désignant la lune, quelle sagesse se cache dans le bruit que fait la voix de son maître. Il conclut qu'il faut retourner la remarque comme un gant. Si la boîte ne le voit pas, c'est bien qu'elle le regarde, qu'elle le concerne quelque part. Elle fait tomber son masque, ou plutôt elle le détoure. Lacan était selon son vœu parti en mer, mais en même temps il n'y était pas, il s'observait en train de former une marine idyllique avec son compagnon. Voyant qui soudain se dévisage soi-même, son œil s'est rebroussé au point de la boîte pour devenir témoin de la scène. Alors Lacan peut dire qu'il « fait tache dans le tableau ». Or logiquement la boîte devait aussi avoir un regard pour le moniteur Petit-Jean que sa dénégation avait trahi. De fait Lacan qui, voulant y entrer, n'est en réalité pas tout à fait dans la scène, devine que Petit-Jean, qui y est depuis toujours, n'y sera bientôt plus. Témoigant de l'hypocrisie de Lacan, la boîte témoigne également d'un drame qui entache la scène. Lacan rappelle que ce jour-là ils contribuaient tous deux à l'oeuvre de l'industrie de la conserve. Cette industrie nourrirait encore longtemps les masses bourgeoises, tandis qu'elle précipitait la disparition de la classe traditionnelle dont était issu Petit-Jean, épaulée qu'elle était en cela par la tuberculose qui sévissait alors en Bretagne. La boîte était le présage d'une mort imminente que son initiateur ne voulait pas regarder en face. Lacan, indirectement, finira par en tirer une théorie du regard.
Rembrayons. Emery, en Vorpoméranie, s'est scissiparisé. Là où le provincial croyait aller à la cueillette, le perspicace en lui sentait que les rattrapaient ces conserves de saucisses qu'on trouve partout chez les superdiscounters berlinois. Ensemble, sous le nom d'Emery, ils exposent leur différend dans le sous-bois de Waldwurst. Les taches, les spots de comestibles bien frais sautent aux yeux. Mais sous leur chapeau, dans l'ombre et en manière de tronc, ce sont en réalité des bottes d'abats conditionnés qui menacent nos gaillards. Formellement, la forêt qui abrite les conserves intruses se retrouve contenue, miniaturisée, kaléidoscopée par elles. Mais qui jettera la première pierre en affirmant que le provincial était à l'article de la mort, tripes vidées, quelques jours seulement après qu'Emery ait vénéneusement mis en boîte cette colonnade d'une forêt vorpoméranienne ? On avancera qu'il n'était que convalescent. Il restait à la maison et faisait des réussites. L'autre était chargé des courses. Quand sur un étalage il trouvait des saucisses, il retournait le bocal pour que la moisissure éventuelle précipite en neige, transformant ainsi ce trouble intime en un conte merveilleux. A son retour, tous deux se mettaient aux puzzles.
Heimattamieh (2006) nous intéresse d'abord à titre de palindrome. Il témoigne des difficultés de prononciation qu'Emery éprouvait au cours de son apprentissage de la langue locale. Son provincial le reprenait. Il fallait dire plutôt Heimatweh. Mais comme toujours, et comme dans le cas de l'aboiement de Petit-Jean, si la langue forche, c'est qu'il y a anguille dessous. Cette dissemblance verbale a son écho dans l'objet.
Ça paraît d'abord clair, le lac qu'on suppose helvétique réfléchit un sommet helvétique : tout est dans le tout. La vue aimable et offerte veut s'asseoir sur ses symétries. Puis rapidement, le malaise saisit à la gorge. Là, au centre du paysage, ça rebique. Dans les couleurs. Un détail. Puis aussi quelque chose dans les traits quoi... Quoi ? Des éléments infiltrés auraient poussé leur horizon sur notre miroir ! Auraient volé son portrait à notre face qui ne peut plus se mirer ? C'est le commun des pièces du puzzle qui a refusé de se sacrifier au nom de la représentation. Effeuillage : du paysage à son capiton, du capiton à chaque gaine, des gaines aux pièces de carton, fausses jumelles, et d'elles au paysage. Entre les couches, l'aura d'un jeu de mains. Quoiqu'il en soit, à l'instar de Waldwurst ou encore des Disparantes, Heimattamieh bat entre domination optique et bouleversement tactile. C'est de là qu'il tient cette énergie qui harcèle le spectateur.
Emery ne supportait plus de se diviser en soi-même. Mais ce n'est peut-être véritablement que vers la fin 2006, avec ses Windmühle, qu'il aura eu la peau du provincial.
A cette époque, même s'ils aiment l'art, l'amour et la fête, ils ne sortent plus. Emery avait tenté quelques mois auparavant une réduction à la limite de la Naissance de Vénus (2005). Chez Rimbaud la Vénus anadyomène, en grec « sortie des fonds marins », n'est plus qu'une vieille pute brune s'extirpant à grand peine de sa baignoire en fer-blanc. Lui auscultant le derme, le poëte lui trouve « des déficits assez mal ravaudés ». Elle s'ébroue et, confirmant avec bonheur la grammaire, lui tend « sa croupe / belle hideusement d'un ulcère à l'anus ». Dès lors, toute miasmes et chair faisandée en 1870, on conçoit qu'en 2005 la Vénus ne pouvait se hisser jusqu'au troisième pour venir se frotter auprès d'Emery. à lui, donc, d'être suggestif. Partant de rien, comme à son acoutumée. Un baquet de cuisine sur le parquet. Dedans flotte une de ces valves qu'on use en fait de cendrier. Ce tombeau cogne contre le bord de plastic, car un sèche-cheveux s'assure de l'essentiel. Du vent. Ainsi se vérifie le dicton selon lequel le souffle demeure quand la soufflée est retombée. Ces crépuscules de l'art, Emery les fredonne en se lavant les pieds.
Près d'un an plus tard, le provincial se traîne dans les coins de leur chambre. Emery veut en finir. Il l'amadoue. Pour cela, il ajoute à son attirail cinq autres sèche-cheveux, choses qu'en Suisse on appelle foehn, comme le vent des montagnes qui rend gaga. Sur ce, sur ce même parquet où avait eu lieu la raillerie de l'amour, Emery organise une veillée. Les amis ne viennent pas, c'est prévu dans le plan. Tant il se languit, l'autre schmürz n'y voit que du feu. Il se prend à l'haleine tautologique des appareils. Patriote d'abord réchauffé, il a ensuite fondu avec eux. On aimerait croire sans témoin. Aux entredéchirements d'une fratrie qui n'est plus, qu'il était, Emery a élevé un mémorial en l'espèce de LaLeLu (2006). Le mobile sonne à perpétuité le glas de cette enfance qui fut le joujou du malin et un pied de nez à la science.
Mais peut-on comme ça fixer la plaie ? Aux prémices de 2007 et à l'enseigne de Frederik Foert, Emery sort de sa réserve. Il expose ses Salty tears. Or si le public lui découvre en fait plus de grain de sel que de larmes, la parodie d'un célèbre duel automobile, ... denn sie wissen nicht, was sie tun, est trop grossière pour ne pas laisser poindre le doute.
Bah ! Un accident chasse l'autre dans la vie d'Emery. Le public est dans la rue, il ne remontera que pour se saoûler sur Like a virgin. On actionne la sculpture, ça joue bébé ? Le tube de Madonna se concrétise à la fin, allant s'écraser telle une matrice sur le sol, l'éclaboussant de l'évangile définitif.
Le pop, vierge à chaque coup, ainsi soit-il. Et on remet la plaque. A jamais coupable et toujours blanchi, Emery renaît. Il aura appris que le seul moyen de vraiment tuer son double, c'est de multiplier ses avatars.
Il peut désormais s'adonner librement à son penchant pour le remake, par exemple dans Sans titre (2008), où les limbes de LaLeLu s'élèvent aux dimension de la géhenne.
Deux poissons rouges, chacun son fût vert, plus une pompe : l'équipement est des plus simples. Et pourtant il suffit à faire cristalliser ensemble ces musts surréalistes que sont Poisson soluble et Les vases communiquants, devenant ici dignes des méthodes de torture mafieuses. L'eau qui alternativement se retire offre aux amateurs le spectacle atroce de pets suffoqués chaque minute. Avec plus d'humour et pas moins d'immoralité, la vidéo Sie dreht sich doch (2008) procède comme souvent chez Emery d'une mise en abyme, indexant en ce cas la validité de résultats scientifiques qu'on croyait constants sur les mouvements aller-retour du consumérisme : à la fermeture des grands magasins, nous tombons dans le vide.
Avec Il Tamburello (2008) Emery inaugure une manière nouvelle, tout en reprenant des procédés et des thèmes éprouvés précédemment. Comme ? Comme l'infernale mécanique cinétique et ses accidents, les objets de masse et leur détournement singulier, le feuilletage multiple et la distorsion pop, le va-et-vient concrétion/abstraction, l'obsessionnelle mise en abyme, le battement entre maîtrise optique et catastrophe tactile, un minimalisme des moyens pour un maximum allusif, une certaine trivialité parodique, le witz cruel de l'humour noir, un libertinage à la petite semaine.
Il Tamburello aura fait battre les coeurs. Non seulement de ces pères de famille qu'on retrouve, le dimanche après-midi, endormis sur le sofa dans les vrombissements réguliers d'un Grand Prix. Mais aussi de toutes celles et tous ceux qui, pour n'être pas amateurs de F1, étaient cependant tombés sous le charme d'Ayrton Senna, pilote brésilien devenu, au cours des dernières décennies du siècle passé, une coqueluche peu évitable. On sait que rien ne contribue davantage à la canonisation du sportif comme sa mort subite dans l'arène. Or la F1 est plus qu'un sport, c'est un emblème croisé du luxe, de la technologie et de la virilité, seul potlach vraiment à la hauteur de notre civilisation. L'ultime rendez-vous de cette belle gueule d'Ayrton, qui courait alors pour Williams-Remault, eut lieu à San Marino. Au cours des essais, l'autrichien Ratzenberger avait lui-même connu la mort. Le jour de la course, un carambolage eut lieu au départ, les voitures furent ralenties puis relancées. Senna, au sixième tour, était en tête. La courbe célèbre où il se crasha tout droit était connue sous le nom d'Il Tamburello. Les images de l'accident diffusèrent planétairement. On s'arracha le film de la caméra embarquée qui déceptivement s'éteint avant tout choc sensible. Quelques spécialistes cherchent aujourd'hui encore à reconstituer par simulation les détails de cet événement tragique. Si l'instant sublime continue nécessairement à se dérober, un tour sur YouTube suffit pour constater que nombreux sont ceux qui tentent de conjurer cette offuscation en dévoilant leur version personnelle, plus ou moins morbide ou sentimentale, la bande-son jouant à cet égard un rôle non négligeable.
Ce que nous présente Emery n'est donc pas un pastiche de l'expressionniste Franz Kline, mais la reproduction, d'après un document photographique, de la trace d'impact du bolide. Si le pilote eut droit au Brésil à des funérailles d'état, en Italie le mur assassin disparut rapidement sous les bouquets et autres ex-votos déposés par des fans en larmes. Il Tamburello joue ironiquement avec le mystère que représente le phénomène, pourtant très banal, de l'empreinte. Didi-Huberman l'a décrit comme personne. L'empreinte articule selon lui un substrat, une forme et un geste en un moment historiquement unique, plus ou moins long, qui échappe à la visibilité. L'imprégnation constitue pour son artisan même une lacune. Ce moment passé, un négatif subsiste, une contre-forme témoignant du contact avec la forme originale mais maintenant absente. La magie cultuelle de l'empreinte réside dans sa puissance de réactivation et de présentification à volonté du contact qui a été. Le cas de la mort de Senna démontre assez ce mécanisme de superstition. Le lieu de l'accident se mue spontanément en un lieu de pèlerinage. La morphologie en soi de l'empreinte importe peu ici. En aucun cas il s'agirait de vouloir y reconnaître un portrait du mort. Bien plutôt ses contours déterminent une surface approximative où puissent prendre leur départ des opérations de contiguïté. Les adeptes viennent y apposer une main fervente ou y déposer un bouquet. Les gestes s'exécutent, les objets honorifiques s'agglomèrent. Ainsi s'établit une chaîne de contacts qui aboutissent à la trace informe qu'a laissée celui qu'on surnommait « Magic », fantôme dès lors disponible pour les conversations les plus privées. Emery s'approprie également la chose. Mais c'est d'abord pour la décontextualiser. Il interrompt les opérations de contiguïté. Il ne garde de la trace informe que le motif. Il ne s'agit plus de l'empreinte unique, faite accidentellement, mais de l'empreinte imitée, reproductible. Au geste involontaire de Senna et à la violence de l'impact se substituent le coup de main expert du graffitiste et la douce pluie de spray. Le nom seul de la peinture fait le lien, encore qu'indirect, avec l'intrigue tragique.
Ces déplacements successifs nous éloignent de la charge pathétique, tout en menant une analyse de l'institution fétichiste. Certes ils cèdent à cette dernière un peu de fascination espiègle, ne serait-ce que parce que le procédé se répète, par exemple avec Turn five ou avec Verdura, une réduction en céramique du dévot amoncellement qui devait masquer la trace de Senna. Mais tout se passe comme si seul importait à Emery que l'informe ponctionné, après son simple épinglement pour soi, migre et se trouve d'autres corps, qu'il insuffle des matériaux qui tantôt saillissent, tantôt disparaissent dans leur fond (Ayrton, qui est un nouveau cas de mimétisme à la Lacan, lui-même ayant pompé Caillois, etc.). Face à l'abstraction d'Il Tamburello et aux métamorphoses où Emery l'entraîne, nous restons au plus près des paradoxes de l'empreinte.
Désormais, Emery parcourt la Vorpoméranie seul, mais à vélo. Parfois, des voitures le doublent en trombe qu'il retrouve plus loin sur un bas-côté. Il ne s'arrête qu'à la condition qu'elles ne soient plus roulables. Pain béni que cette Facel Vega d'il y a quelques mois ! La sculpture éponyme est un tronc moulé. Entamant sa surface, on retrouve les marques que la Facel y a imprimées lors de son embardée. Pourtant ce totem se tient là devant nous, laqué entièrement de neuf. Son lustre est d'un fier gris métallique. On pense un moment au Green car crash de Wahrol. Puis on se dit que si de la Facel au tronc il y a eu un trop de transfert, ce n'est pas parce qu'Emery n'y était pas, mais sans doute parce que le conducteur n'est déjà plus. Touchons du bois.
Stéphane Montavon, oct. 2008
Jura suisse, Neuchâtel, Boulder Colorado, Stéphane Montavon poursuit
d'un trou l'autre ses études littéraires jusqu'à Berlin, écrit des
nouvelles et des proses poétiques trouvant preneur en ligne, chez Le
Pillouër dans son sitaudis.com et parmi les70.com de Laurent Chamalin,
mais c'est aussi là-haut, quand il buvait encore de la bière, qu'il
rencontre, outre Emery, Gilles Aubry avec qui il composera l'opéra
bruitiste Camp Victory, donné à Lausanne en 2005, une série
d'interventions communes du coup s'inaugure, pièces radiophoniques,
audioblog ou conférences contaminées par la diffusion d'enregistrements
atmosphériques, en 2007 et 2008 les larrons à la solde de Pro Helvetia
écument le Caire chassant au jour le jour les sons et les hurleurs
démocrates à quoi qui voudrait prêter l'oreille devra se munir d'un
casque avant d'entrer sur www.cairotalkingheads.blogspot.com, en
contrepoint Montavon s'établit à Bâle, il installe Kloband au petit coin
de l'ancienne fabrique de papier Elco, un dispositif multicanal qui
documente les résonances du bâtiment rasé quelques jours plus tard à la
faveur d'une rangée de villas, ses travaux théoriques, publiés en
allemand, portant sur Sade, Guy Debord et l'audivision, Montavon les
entreprend au sein du collège de gradués de Eikones, institut
international sis au bord du Rhin et qui s'occupe de critique des
images, Montavon y montera des colloques avec Jacques Rancière, Georges
Didi-Huberman, Mladen Dolar et caetera, mais à l'heure qu'il est il
s'acharne en buvant son presque déjà tiède capuccino sur un essai autour
de la voix découplée du corps autrement dite acousmatique
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Turn Five, 2008
Sprühfarbe
Variable Maße
Sprayer : Philipp Ganzer
Eric Emery *1975 Lausanne
Studium: ecal, Lausanne
Ausstellungen:
Eric Emery, IN EXTENSO, Clermont-Ferrand, 2010
LOADING..., PMgalerie, Berlin, 2010
Erased Graffiti, La Générale, Sèvres/Paris, 2009
Jane, mon père et moi, Kiosque/Images, Paris, 2009
Le jour d'après, la Dépendance, Renens, 2009
Accrochage, Espace Arlaud, Lausanne, 2009
Don't follow me, I'm lost too, Substitut, Raum für aktuelle Kunst aus der Schweiz, Berlin, 2009
Im|materiell, tmp 5/2, Berlin, 2008
Spuren.Wachsen, Substitut, Raum für aktuelle Kunst aus der Schweiz, Berlin, 2008
When fears become forms, CAN, Neuchâtel, 2008
Accrochage, Espace Arlaud, Lausanne, 2008
Salty tears, frederik foert berlin, Berlin, 2007
European Media Art Festival, Osnabrueck, 2007
Stipendium:
2009
Atelier vaudois du 700ème, Cité Internationales des Arts, Paris
Eric Emery ist Gründer und Leiter des Pojektraums zwanzigquadratmeter
CV+
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