Grégory Sugnaux
out of sight
11. - 25. März 2016
(c) Grégory Sugnaux, 2016
Grégory Sugnaux - Out of Sight
Une salle, vingt mètres carrés, et trois sculptures monumentales. Des blocs hauts de plus de deux mètres, blancs, épais, solides et froids. Un environnement désertique, une odeur chimique, une lumière presque trop forte, presque trop blanche, presque trop froide, elle aussi. Et des formes abstraites, creusées dans les parois rugueuses et inégales d'un matériau travaillé dans sa forme brute. C'est à Berlin, chez zwanzigquadratmeter (zqm), le dynamique espace d'art contemporain fondé par l'artiste et curateur suisse Eric Emery, que Grégory Sugnaux a choisi de présenter sa dernière exposition de sculptures, intitulée Out of Sight. Elle donne à voir un travail d'une grande sensibilité, traversé par de pertinentes réflexions plastiques.
Le jeune artiste prend le volume comme point de départ, façonnant la surface de trois blocs de styropore au marteau, pour en prélever la matière. Aléatoire mais précis, répété de longues heures durant, le geste inscrit ainsi la pratique artistique de Grégory Sugnaux dans une certaine tradition sculpturale, réactualisée dans un ici et maintenant spécifique. Son marbre est en polystyrène, extrait d'une carrière industrielle, livré par camion, payé comptant. Et le geste est similaire. Or ici, parler du geste c'est parler d'une certaine forme de processus, et du caractère potentiellement évolutif de l'œuvre. Lorsqu'il entreprend de réduire les trois masses au marteau, frappant inlassablement les surfaces malléables des blocs, les réduisant littéralement en morceaux, et lorsque ces morceaux se répandent justement sur toute la surface d'exposition, recouvrant bientôt le sol d'une épaisse couche de polystyrène, haute de plusieurs dizaines de centimètres, paraissant recouvrir les sculptures par le dessous - comme les avaler par le sol -, l'artiste n'est-il pas déjà en train de dire quelque chose ? Le processus n'est-il pas objet en soi ? Et où commence l'œuvre, où finit-elle?
Dans Out of Sight, la réponse que donne Grégory Sugnaux à ces questions déjà souvent débattues, est très belle, parce qu'elle tient du paradoxe. D'un côté, toute trace du processus est dissimulée, voire même éliminée lorsque cela est possible. L'espace est nettoyé, repeint, remis à neuf. Surtout, la surface des sculptures est adoucie par plusieurs litres d'acétone, sprayés à même le polystyrène, leur conférant un certain lissé, une finition. Cette couche, c'est le mot fin, justement, la fin du « process », le début de l'œuvre. Et à partir de là, plus aucun geste n'est possible. Cependant, et à l'inverse, du fait que l'action corrosive de l'acétone s'étend sur plusieurs jours, creusant le polystyrène bien après son application, l'œuvre évolue encore davantage à partir de ce même moment, dans un mouvement entropique, voué, potentiellement, à sa propre destruction. Les objets, selon la fameuse formule de Robert Smithson, « ne sont pas construits en vue de la durée, mais plutôt contre ». Et la sculpture n'existe que lorsqu'elle commence à se détruire.
De fait, la dernière exposition berlinoise de Grégory Sugnaux possède ceci d'intéressant qu'elle cristallise des questionnements inhérents à sa pratique d'artiste de manière plus générale. En effet, son travail, partagé entre peinture et sculpture, interroge régulièrement les relations qu'il existe entre la recherche et l'objet, la prospection et le résultat, l'idée et la matière. Jamais proscrite, et rarement verbale, cette réflexion prend appui sur la volonté de l'artiste de replacer le tâtonnement, l'instinct et le hasard au centre du processus de création. Il s'agit de produire en cherchant, de se tromper, d'hésiter, de rebrousser chemin. Il s'agit de savoir d'où partir, sans nécessairement toujours savoir où aller. De se perdre, puis de se ressaisir. Avant d'effacer ses traces.
Ascanio Cecco
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gregorysugnaux.com